Article La Tribune

C’est grâce au combat de Colette et à son aide

que nous avons pris conscience

du scandale mondial du 5-FU

 

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Un test pouvant sauver des vies intégré au protocole médical

Mélanie Noël – La Tribune

Colette Bibeau a vu son mari Paul Allard connaître une mort horrible après des complications liées à un traitement de chimiothérapie dite légère. Elle apprendra plus tard que le drame avait été causé par une déficience enzymatique de nature génétique.

« Tous les patients du CIUSSS de l’Estrie — CHUS qui commencent une chimiothérapie à base de 5-fluorouracile (5-FU) font désormais un test sanguin pour s’assurer que le traitement n’entraîne pas de conséquences graves, voire mortelles. Ce test génétique aurait évité une mort atroce au Sherbrookois Paul Allard en 2011. Une grande victoire pour sa veuve, Colette Bibeau, qui est en croisade depuis plusieurs années pour que ce test, peu coûteux, soit offert systématiquement à tous les patients concernés, soit environ 6000 par année au Québec.

« Ça fait sept ans que je me bats pour ça. Au départ, je m’étais dit que si mes démarches pouvaient éviter à une seule personne de vivre le cauchemar que mon mari a vécu, ça aurait valu la peine. Déjà des patients ont évité le pire en passant le test génétique. Maintenant, il faut que tous les hôpitaux intègrent ce test au protocole », explique Mme Colette.

La dame se réjouit donc que l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) ait recommandé dans un rapport remis au ministère de la Santé et des Services sociaux en janvier que tous les patients atteints d’un cancer traités par une chimiothérapie contenant du 5-fluorouracile (5-FU) ou capécitabine soient soumis à un test pouvant détecter la déficience enzymatique de nature génétique problématique, soit la déficience en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD).

« Maintenant, le ministère de la Santé doit prendre les mesures pour que tous les médecins praticiens offrent ce test, car le 5-FU fait encore des victimes au Québec. Encore cet automne, un homme de Sept-Îles est décédé et, la semaine dernière, l’enterrement d’une autre victime avait lieu à Québec », ajoute Mme Bibeau, précisant qu’environ 60 % des chimiothérapies traitant le cancer du sein, de l’œsophage, du côlon et de l’intestin grêle contiennent du 5-FU.

« Il y a une inégalité dans le système de santé. Le test devrait être offert à tous les Québécois peu importe l’hôpital dans lequel ils sont traités », note Mme Bibeau, précisant que les premières publications démontrant la toxicité du 5-FU datent de 1984, soit 27 ans avant la mort de mon mari.

« De façon générale, le 5-FU est relativement bien toléré et les effets indésirables sont gérés par un traitement symptomatique ou un ajustement posologique. Par contre, chez 10 à 40 % des patients, une chimiothérapie à base de 5-FU ou de capécitabine peut causer des toxicités sévères, parfois mortelles (0,5 à 1 %). Une des causes de cette toxicité peut être la déficience en DPD.

Colette Bibeau a vu son mari Paul Allard connaître une mort horrible après des complications liées à un traitement de chimiothérapie dite légère.

Les derniers jours de Paul Allard

M. Allard a été opéré le 10 novembre 2010 pour son cancer du côlon de stade 2. Aucune métastase ne se trouvait sur les 17 ganglions enlevés lors de la chirurgie. La chimiothérapie lui a été donnée à titre préventif en février 2011. Elle devait durer 6 mois et diminuer ses risques de récidives de 5 %.

« Avant la chimio, il était en pleine forme. Le lundi, il avait joué au tennis. Mardi et mercredi, on a fait du ski au mont Orford. Le jeudi, on a quitté notre club de lecture pour aller voir son médecin qui lui a proposé une chimio dite légère. »

M. Allard a avalé cinq comprimés au total entre le 2 février et le 4 février 2011. « Quand le médecin l’a vu le lundi suivant, Paul donnait l’impression de s’être endormi en plein midi au soleil; son visage était tout rouge et enflé. Il a cessé de manger le mardi et le jeudi, il était très difficile de le comprendre tellement sa langue était enflée. »

Ce même jeudi, il a été hospitalisé et ce, jusqu’à son décès le 3 mars. Aux soins intensifs, il avait été placé dans un coma artificiel pour qu’il ne souffre plus. Des photographies de M. Allard, méconnaissable, montrent sa détérioration.

« Les médecins me disaient que c’était des complications liées au traitement. Je voulais savoir pourquoi il était victime de ces complications. Lors d’une rencontre avec un hématologue, j’avais demandé à une amie médecin de m’accompagner pour être certaine de bien comprendre les réponses à mes questions. Et c’est ce médecin qui a eu l’honnêteté de me dire qu’une déficience enzymatique de nature génétique était à l’origine du drame. »

« Quand j’ai su que c’était génétique, j’ai entamé des démarches. Pour que mes deux enfants et mes petits-enfants ne traversent jamais cette épreuve. Personne ne mérite de mourir de cette manière », dit Mme Bibeau.

Sa colère et ses frustrations concernant la mort horrible de son mari ont rapidement laissé place à l’action. Mme Bibeau a senti le devoir de faire changer les choses, en dénonçant dans les médias la situation, en déposant des plaintes, en interpellant le ministre de la Santé et des Services sociaux et en prenant la parole dans des forums de la santé, parce qu’elle avait les capacités et le temps, en tant que retraitée qui a enseigné la communication à l’Université de Sherbrooke pendant de nombreuses années. Elle a cofondé l’Association francophone de défense des victimes du 5-FU (http://www.association-victimes-5-fu.com).

« Paul était une personne très généreuse. Tous ceux qui lui ont rendu hommage l’ont souligné dans leur témoignage. Et aujourd’hui encore, il rend service à beaucoup de gens », conclut Mme Bibeau.

 

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Au moins quatre patients épargnés grâce au test génétique

Depuis 2017, au moins quatre patients du CIUSSS de l’Estrie-CHUS ont évité des complications sévères ou mortelles grâce à un test génétique effectué avant leur traitement de chimiothérapie à base de 5-FU.

« À ma connaissance, deux patients du CHUS ont été identifiés porteurs de la mutation hétérozygote lorsque nous envoyions les tests au CHUM. Et deux autres se sont additionnés depuis que nous faisons les tests ici, portant à quatre le nombre de patients chez qui nous avons pu modifier le traitement et éviter des effets toxiques », note le Dr Frédéric Lemay, gastro-entérologue au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

Depuis 2017, après l’approbation initiale de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS), le CHUM analyse les tests génétiques détectant la déficience en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD). Le CIUSSS de l’Estrie -CHUS a commencé à faire ses propres analyses le 10 septembre 2018 et 250 patients ont été testés depuis cette date. Les tests sont offerts de façon aléatoire et non obligatoire, comme le recommande un récent rapport de l’INESSS. Par contre, les médecins du CIUSSS de l’Estrie-CHUS sont de ceux qui ont envoyé le plus de requêtes pour ce test.

« Depuis 2017, les cliniciens au CHUS ont pris l’habitude de faire tester les patients qui avaient besoin de 5-FU. Ce n’était pas systématique au départ, mais c’est devenu rapidement une habitude de le prescrire et d’attendre le test du CHUM. Nous avons gardé cette habitude et depuis que le test est fait au CHUS, c’est encore plus systématique et performant », précise le Dr Lemay, ajoutant qu’avant 2017, le test n’était pas disponible au Québec « donc jamais fait ou presque dans notre pratique ».

« Dans certains cas, avant 2017, où des toxicités graves ont été rencontrées avec le 5-FU, le test était fait aux États-Unis. Cela n’était pas pour prévenir, mais plutôt comprendre rétrospectivement la nature des toxicités », spécifie le Dr Lemay.

Actuellement, le test est réalisé par deux laboratoires, ceux du CHUM et du CHUS, et des démarches sont en cours pour évaluer la possibilité de désigner deux autres laboratoires, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

« Nous sommes fiers de pouvoir donner des résultats dans des délais maximaux de 48 à 72 h (jours ouvrables). Les recommandations du MSSS, c’est dans les 10 jours. Comme nous sommes conscients de l’impact des résultats et que nous avons une équipe exceptionnelle dans notre laboratoire, nous avons optimisé nos processus afin de limiter le plus possible les délais », explique le Dr Sébastien Chénier, généticien.

D’un test aléatoire à un test obligatoire

Selon le rapport publié récemment par l’INESSS, les médecins-praticiens doivent désormais informer tous leurs patients des risques associés à la déficience en DPD, des moyens actuels à leur disposition pour la déceler et des conséquences d’un résultat positif ou négatif au génotypage d’allèles DPYD. Toujours selon le rapport, le génotypage prospectif devrait être intégré dans la planification des traitements à base de fluoropyrimidines.

« Un avis s’adressant aux professionnels de la santé a été publié par l’INESSS et ces directives y sont incluses. Ce protocole m’amène à penser que la ministre Danielle McCann va approuver les recommandations de l’INESSS. Selon les renseignements qui m’ont été transmis, les 90 jours de réflexion qui lui étaient alloués se terminent le 25 avril », souligne Colette Bibeau, la veuve de Paul Allard.

La valeur pondérée de ce test effectué dans le réseau de la santé et des services sociaux est de 18,90 $. Le test actuel sera modifié pour inclure trois mutations génétiques supplémentaires, tel que recommandé par l’INESSS.

« Le coût de ce test sera plus élevé lorsque les trois autres mutations seront ajoutées », précise la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse, ajoutant qu’il a été demandé aux directeurs de cancérologie du Québec de s’assurer que le test est intégré aux pratiques et protocoles de l’établissement.

« Le tout est à se mettre en œuvre dans les établissements », conclut Mme Lacasse.